WU ET JÉRÔME

Jérôme se sentait bien. La journée s’annonçait splendide. C’était lundi. Jérôme aimait le lundi. Le lundi c’était le début de la semaine. Le début de l’enthousiasme. Comme chaque jour il irait travailler. Jérôme aimait son travail. Mais aujourd’hui il avait un projet. Il passerait chez le fleuriste pour choisir un bouquet qu’il souhaitait faire livrer. Faire livrer des fleurs à Wu lui était apparu comme une idée de génie. Les fleurs feraient le premier pas et ainsi il sera très vite fixé sur ses chances de réussite.

Wu était entrain de penser à son frère et à leur sinistre relation lorsqu’elle entendit la sonnerie de la porte. Qui cela pouvait-il bien être ? Elle n’attendait personne. Elle n’en croyait pas ses yeux. Le bouquet était si gros, qu’elle ne voyait même pas le visage du livreur. Elle prit les fleurs, remercia le livreur en lui donnant une petite pièce et se dirigea à la cuisine pour trouver un vase approprié. Elle ouvrit l’enveloppe et lu le texte :

« N’ayant pas le courage de vous aborder, j’utilise ces quelques fleurs en guise de bouclier. Accepteriez-vous un dîner ? » Jérôme, le voisin d’en face  oui ou non au 0795189340

Elle sourit et déposa délicatement les fleurs afin de les arranger dans son plus beau vase. C’était un bouquet blanc, tout en douceur et en subtilité.

mine-de-rien-ch-7emeepi-fleurWu n’avait jamais reçu de fleurs, ni d’invitation aussi charmante. Elle visualisait très bien le voisin d’en face. Jérôme était plutôt bel homme et elle n’arrivait pas à croire qu’il puisse avoir envie de la séduire.Elle aussi l’avait remarqué mais jamais elle n’aurait osé imaginer l’approcher de plus près. Elle se sentait heureuse, joyeuse. Elle avait envie de chanter et de préparer un gâteau à son grincheux de frère. Et pendant qu’elle y était, elle en ferait un autre pour Mme Jacquet. La vie lui semblait tellement plus belle depuis qu’elle avait lu la carte de Jérôme. Elle voulait partager sa joie en offrant de la joie à son tour. Elle n’était pas amoureuse, du moins pas encore. Mais ce sentiment de légèreté de l’être était une émotion rare pour Wu. Elle n’arrivait même pas à se souvenir la dernière fois qu’elle s’était sentie envahie par cette douceur de l’âme. Il fallait écrire le « SMS » à Jérôme. Elle se demandait si elle devait le faire tout de suite ou attendre un peu. Ne jamais se précipiter, jamais. Elle était maîtresse en matière de retenir sa spontanéité en toutes occasions. C’était un dysfonctionnement instinctif. Donc elle décida rapidement de ne pas répondre avant la fin de la journée.

De toute façon la journée passerait vite car elle avait un « fourmilion » de choses à faire. D’abord elle voulait passer chez Madame Jacquet, une autre voisine. Wu était un peu inquiète à son sujet. Il y avait quelques semaines qu’elle n’avait plus croisé sa voisine. Comme il s’agissait d’une femme d’un certain âge, Wu pensait qu’il serait juste de passer chez elle prendre de ses nouvelles et offrir son aide si nécessaire. Peut-être que Mme Jacquet se sentait peu bien et qu’elle apprécierait que quelqu’un lui fasse les courses ou un peu de ménage. Il y avait déjà quelques jours qu’elle y pensait. Si elle ne s’était pas manifestée plus vite c’est parce qu’elle avait vu son fils lui rendre visite au moins les deux dimanches précédents. Si son fils passait, c’est forcément que la situation n’est pas dramatique. Mais Wu, voulait quand même aller demander à sa voisine si elle pouvait lui être utile. Lui dire qu’elle avait remarqué son absence à la messe du dimanche. Lui offrir son aide et son amitié.

Wu avait préparé une tarte pour son frère et décida de passer chez Virgile avant d’aller chez Mme Jacquet. Elle sonna chez son frère, le cœur léger, pour une fois. Aujourd’hui aucune angoisse à l’idée de se faire clasher une fois encore.

  • Que veux-tu ? dit-il d’un ton bougon en ouvrant la porte.
  • Je t’ai apporté une tarte aux abricots, répondit-elle tout en sourire.
  • Tu as l’air de bien bonne humeur.
  • Je le suis, Virgile. Je me sens heureuse et légère.
  • Ça te va bien. Il prend la tarte. Merci et salut.
  • Salut. A très vite.

Wu n’en revenait pas. Virgile avait presque été agréable. Décidément, cette journée était magique. L’amour appelle l’amour. La haine appelle la haine.
La maison de Mme Jacquet se trouvait au coin de la rue. Elle s’y rendit le cœur en joie. Au moment de traverser la rue, elle aperçut du coin de l’œil une silhouette connue. Son cœur s’arrêta de battre une seconde. C’était Jérôme. Il rentrait chez lui et à n’en pas douter, il ne l’avait pas vue. Elle en était soulagée et continua sa route en direction de la maison de Mme Jacquet. Arrivée devant la porte elle sonna. Pas de réponse. Alors elle frappa, puis finit par appeler doucement et de plus en plus fort :

  • Mme Jacquet. Mme Jacquet, vous êtes là ? C’est Wu, votre voisine.
  • Je peux entrer Mme Jacquet ? Vous êtes là ? Elle tapa plus fort contre la porte.
  • Mme Jacquet. Ouvrez-moi. Vous allez bien ? Vous n’avez besoin de rien ? Répondez-moi .

Un homme s’approcha discrètement d’elle par derrière. Elle sursauta.

  • Vous cherchez Mme Jacquet ?
  • Oh, mon Dieu ! Vous m’avez fait peur ! Qui êtes-vous ?
  • Et vous ?
  • Ça ne vous regarde pas.
  • Scusez-moi, M’dame. Je me présente. Cap’taine Justin Demierre de la gendarmerie cantonale. Il lui montre son matricule.
  • Oh ! vous êtes de la police. Il est arrivé quelque chose à Mme Jacquet ?
  • Je ne sais pas. À vous de me le dire. À quand remonte votre dernière rencontre avec   Mme Jacquet ?
  • Euh ! Je ne sais plus trop. Deux semaines, peut-être trois. J’ai préparé une tarte pour elle. Ne la voyant plus ni passer dans la rue ni venir à la messe le dimanche matin, je voulais savoir si tout allait bien pour elle.
  • C’est gentil ça. Je ne crois pas qu’un de mes voisins s’inquiéterait s’il ne me voyait plus pendant deux ou trois semaines.
  • Oui… mais ici c’est un petit quartier. On se connaît et on s’intéresse les uns aux autres.
  • Mais bien sûr ! Un quartier parfait. Habité par des gens au-dessus de tout soupçon.
  • Que voulez-vous dire Capitaine. De quoi pourriez-vous bien me soupçonner ?
  • Allez savoir ?
  • Vous savez quelque chose au sujet de Mme Jacquet ? Elle va bien ?
  • Je ne sais pas si elle va bien mais à ma connaissance, elle n’est pas là.
  • Ah bon ! Elle est partie en vacances ?
  • Ça non plus je ne saurais le dire. Il y a des gens qui s’en vont et on n’arrive jamais à savoir ni où ils vont ni pourquoi ils s’en vont.
  • Capitaine, je vous trouve bien mystérieux.
  • Mademoiselle, le mystère, ça rend la vie excitante. Allez, rentrez chez vous et mangez votre tarte.
  • Je vais peut-être même la partager avec quelqu’un.
  • Faites donc ça. Vous privez surtout pas, la vie est courte.
  • Si vous apprenez quelque chose sur Mme Jacquet, venez me le dire. J’aimerais avoir de ses nouvelles.
  • J’y manquerais pas. J’passerais vous voir, ça me donnera l’occasion de déguster une part de tarte.
  • Venez quand vous voulez, j’en ai toujours une de prête !

Wu sourit. Elle se sentait toujours d’humeur joyeuse et comme Mme Jacquet était sûrement bel et bien en France, auprès de ceux qui lui sont chers, tout était pour le mieux. Elle pouvait maintenant penser à elle. D’abord répondre à Jérôme. De retour chez elle, elle prit place dans son fauteuil préféré, tira son portable de son sac et s’installa confortablement. Elle composa le numéro et rédigea en lettres majuscules le OUI qui lui mettait le sourire aux lèvres. Puis elle appuya sur « envoyé ».
Quelques secondes à peine plus tard, son téléphone vibra. C’était Jérôme. Son cœur se mit à battre plus fort. Elle n’osait pas répondre. Qu’allait-elle dire.

  • Allo ?
  • Allo. Bonsoir. C’est Jérôme. J’ai reçu votre réponse.
  • Oui et moi, j’ai reçu votre bouquet. Il est magnifique. Je vous remercie.
  • Non, ce n’est rien. Alors vous êtes d’accord pour un dîner. Je vous propose samedi soir. Je viendrais vous chercher à 19 h 30 et nous irons manger à la Croix-Blanche.
  • Oh, à la Croix-Blanche. C’est un restaurant qui a grande réputation.
  • Oui, je crois qu’on y mange très bien.
  • Bien.
  • Bien. Je suis content.
  • Je suis contente aussi.
  • Bien.
  • Bien. Alors à samedi Wu.
  • A samedi Jérôme.

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